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A petits poissons petites mailles

Cette année encore, les pêcheurs professionnels ont la possibilité d’utiliser des filets avec de plus petites mailles pour capturer la bondelle. Une mesure comme une goutte d’eau dans le lac pour un métier qui ne voit pas le bout de ses années difficiles.

Les pêcheurs sont inquiets à l’instar d’Alexandre Bonny, président de la corporation des pêcheurs professionnels du lac de Neuchâtel.Photo ik

Isabelle  Kottelat

Isabelle Kottelat

12 janvier 2023 à 01:00

Temps de lecture : 1 min

«C’est un des seuls moyens qu’on a pour prendre un peu de poisson.» Le ton de la voix du président de la corporation des pêcheurs professionnels du lac de Neuchâtel Alexandre Bonny est las. 2022 s’annonce encore pire que 2021 en termes de pêche. Les chiffres ne sont pas encore totalement connus, mais avoisineraient, à première vue selon le Chevrotin, ceux qualifiés de «catastrophiques» de 2019.

Pas étonnant, du coup, que les pêcheurs aient demandé une nouvelle fois à la commission intercantonale du lac de Neuchâtel de reconduire en 2023 la possibilité d’utiliser de petites tailles de mailles pour les filets à bondelles (2 filets sur toute la panoplie du pêcheur professionnel). Afin de capturer des poissons plus petits, donc. Requête exaucée, selon une publication parue dans la Feuille officielle du canton de Fribourg à fin 2022.

«Depuis 2019, année après année, la limite inférieure des mailles est autorisée à 31 mm au lieu de 33. On n’a pas fixé la taille une fois pour toutes, mais chaque année on réévalue et on adapte», précise Manuel Pompini, inspecteur de la pêche au Service fribourgeoise des forêts et de la nature.

La grandeur des mailles des filets se cale sur l’évolution de la croissance des poissons. «La base de notre réflexion, pour assurer une gestion durable, c’est qu’on permet aux poissons de se reproduire au moins une fois avant d’être pêchés», note Manuel Pompini.

La croissance des poissons est suivie «en récoltant des écailles. On peut ainsi suivre son évolution sur le long terme. Ce suivi est reconduit chaque année», explique-t-il. Si, dans les années 1980, la croissance était forte, c’est une tout autre histoire ces dernières années, avec une baisse continue qui suit l’évolution de disponibilité en nourriture du lac devenu «plus propre». Les captures de corégones (famille de poissons dont font partie la bondelle et la palée) ont fortement diminué depuis 2017 pour atteindre un creux en 2019; les années 2020 et 2021 étaient un peu mieux mais sont restés très basses en comparaison avec les 15 dernières années.

Baisse inexpliquée

«On ne comprend pas cette baisse rapide. On peut faire l’hypothèse très probable d’un souci à un moment donné à la reproduction des jeunes qui pourrait être dû à un manque de nutriment, à des hivers trop chaud, une qualité d’eau inadaptée, des tempêtes hivernales qui brassent les sédiments, etc.», analyse Manuel Pompini.

Et le cormoran dans tout ça? «Il n’aide certainement pas, mais c’est un des facteurs parmi beaucoup d’autres qui font partie de l’équation. L’impact précis qu’il a sur les populations de corégones du lac, on ne le sait pas encore», lâche l’inspecteur de la pêche. Une étude, reconduite pour une troisième année, donnera peut-être des réponses (lire ci-contre).

Pour Alexandre Bonny, l’oiseau noir est clairement l’ennemi public numéro un. «Nous pêchons à différentes profondeurs avec des mailles de filet de différentes grandeurs pour ménager les petits poissons. Des mesures qui allaient bien, avec un bon équilibre, jusqu’à l’arrivée du cormoran.»

Ne pas amplifier le problème

Les captures annuelles de la pêche professionnelle dans le lac de Neuchâtel, toutes prises confondues, ont chuté sous la barre des 100 tonnes en 2019 (90 tonnes), pour remonter légèrement à 133 tonnes en 2020 et 139 tonnes en 2021. Rien à voir avec les saisons exceptionnelles de 2012 et 2013 avec un total annuel de 350 tonnes de poisson prélevé par les pêcheurs professionnels!

«Durant une période critique, et malgré une diminution de la croissance, nous avons certaines réticences à baisser la taille des mailles, donc à autoriser les pêcheurs à des prises plus petites car on craint d’amplifier la problématique. En même temps, on ne peut pas impacter plus encore la pêche professionnelle», conclut l’inspecteur cantonal.

C’est la faute du cormoran. Ou pas.

.■ Une étude sur le cormoran. Eradiqué ces 100 dernières années, le cormoran est protégé depuis les années 1970 dans le nord de l’Europe. Et c’est naturellement qu’il s’est réinstallé dans notre pays. Le premier couple nicheur a été observé en 2001 sur le lac de Neuchâtel. Opportuniste, l’oiseau noir vient manger directement dans les filets des pêcheurs, des filets qu’il abîme en plus. Une étude des trois cantons de Fribourg, Vaud et Neuchâtel est reconduite pour la troisième année en 2023 sur l’impact direct du cormoran sur les filets des pêcheurs professionnels. «C’est-à-dire sur ce qui est quantifiable, car les populations naturelles de poissons du lac appartiennent à la nature et le cormoran en est un acteur légitime», note Manuel Pompini.

■ Permis de tirer. Un essai de tir des cormorans par les gardesfaune des trois cantons en 2019 a montré l’impossibilité de réguler l’oiseau par la chasse, selon Manuel Pompini. A la place, un permis et une formation spéciale de tir ont été proposés aux pêcheurs professionnels pour qu’ils puissent défendre leurs filets. «Ils ont le droit de tirer jusqu’à 100 m autour de leurs engins de pêche, pour effrayer ces oiseaux ou les tuer.» Sur les 7 pêcheurs professionnels fribourgeois sur les lacs de Neuchâtel et Morat, 2 ont pris le permis cette année. Tous cantons confondus, ils sont une bonne dizaine sur le lac de Neuchâtel qui ont abattu une trentaine d’oiseaux, ajoute Alexandre Bonny. «Mais il en revient autant. Il y a 1800 couples de cormorans sur le lac.»

■ Aide d’urgence prolongée. Depuis 2020, chaque pêcheur professionnel reçoit une aide financière d’urgence de 10 000 francs par les cantons de Fribourg, Vaud et Neuchâtel. Elle est prolongée pour 2023 et 2024. IK

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