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Des moissons noyées par les pluies

Le beau revient ces jours et les moissonneuses peuvent reprendre leur travail, mais les dégâts sont là. Les agriculteurs ont pataugé pour tenter de récolter dans des conditions extrêmement humides. Une partie du panifiable se retrouvera déclassée en blé fourrager.

A l’image de ce champ à Morens, le blé n’a pas pu être récolté à temps sur nombre de parcelles.

Pierre  Köstinger

Pierre Köstinger

12 août 2021 à 02:00

Des champs de blé sombres, des grains mous sous la dent, aussi gorgés d’eau que le sol est détrempé. La semaine dernière encore, l’état des moissons prises de court par la météo faisait peine à voir dans la Broye. «C’est compliqué, on vole les jours où on peut travailler. En temps normal, on est censé terminer la moisson début août. Là, on est juste à la moitié», explique Joël Bossy, jetant un regard morose vers le ciel chargé de nuages. Il vient de s’arrêter de pleuvoir.

Agriculteur à Franex, il est aussi à la tête de Bossy Bat, une entreprise de travaux agricoles œuvrant pour une centaine de clients. Ses cinq moissonneuses-batteuses, dont trois sont équipées de chenilles, dorment dans le hangar à une heure où, en temps normal, la saison bat son plein. Si les machines peuvent s’attaquer à du blé un peu humide, il leur est impossible de faucher des céréales détrempées.

Mais le plus gros problème, souligne-t-il, c’est le terrain. Gorgé d’eau par endroits, celui-ci devient difficile à travailler. Ses moissonneuses à chenilles ont beau aller plus loin que les autres, certains secteurs restaient encore inaccessibles la semaine dernière. «C’est l’éternel problème, les machines tassent le terrain, ce qui le rend de moins en moins perméable.» C’est d’abord pour cette raison qu’il a investi dans des moissonneuses à chenilles, histoire de moins abîmer les sols. Pas pour moissonner pendant un mois de juillet diluvien. «La météo peut nous amener de belles choses, elle peut aussi nous pourrir la vie.»

Déclassé en blé fourrager

Joël Bossy relève chaque jour le pluviomètre installé devant sa maison. «Ici à Franex, il a déjà plu 750 millilitres d’eau depuis janvier, alors qu’il en tombe normalement entre 800 et 1000 par année.» Il ne cache pas que ces pluies à répétition plombent le moral des agriculteurs. «Habituellement, ça bosse à cette période.» Son téléphone sonne sans arrêt ses jours. Les moissonneuses à chenilles sont prisées.

«De nouveaux clients m’appellent, mais je priorise ceux que j’ai déjà.» Le répit météorologique de la semaine du 19 juillet n’a pas permis de terminer les récoltes. En général, on dit que le blé se moissonne à partir du dix juillet, mais il faut une fenêtre de plusieurs jours d’affilée sans pluie. «Le blé, quand il est mûr, tu ne peux pas attendre deux semaines», précise Joël Bossy. Le problème cette année, c’est qu’il se met à germer à force d’attendre sur le pied.

Résultat: la qualité de la récolte sera péjorée. «Si le blé germe, le panifiable se retrouve déclassé en blé fourrager. Ce qui représente une baisse du prix d’environ 15 francs pour 100 kilos», explique René Baechler, responsable des centres collecteurs d’Estavayer, Cugy et Payerne pour Landi Centre Broye (LCB).

Concrètement, c’est dû au fait que le gluten, qui donne son élasticité au grain et permet de faire gonfler le pain, se transforme en sucre lors de la germination. «La pâte perd alors de sa résistance», continue René Baechler. Il espère que ces jours de beau amèneront un peu de qualité, d’autant que 30% du blé panifiable réceptionné jusque-là ont déjà été déclassés à cause de la grêle qui a frappé à la fin juin.

Cela sera plus difficile pour les variétés précoces, plus sensibles à la germination sur le pied, anticipe-t-il. «En revanche, pour les variétés plus tardives et plus élevées en attitude, ce sera peut-être encore possible d’éviter la germination.» Les agriculteurs se retrouvent devant un dilemme. «Si le blé est battu humide, il va falloir le sécher et compter avec les frais liés au séchage. Certains producteurs ont pris cette option», explique Laurent Bapst, gérant du Moulin agricole de Payerne.

Lui non plus ne s’attend pas à une année mirobolante. «Agriculteurs, centres collecteurs, meuniers, c’est compliqué pour tout le monde», dit-il. Le gérant du moulin payernois s’attend à une perte de rendement. «J’espère qu’on aura assez pour notre propre production, mais on ne pourra pas livrer certains clients.»

De son côté, René Baechler ne craint pas que de la marchandise reste sur les bras de Landi Centre Broye. «Ça partira dans le fourrage.» Concernant l’éventualité d’une pénurie de blé panifiable, difficile à dire à ce stade. «Il faudra voir à l’échelle du pays, mais il va certainement manquer et il faudra augmenter les importations», avance René Baechler.

«Faucher, botteleret puis voilà»

Une «charogne d’année» résume pour sa part Gustave-Daniel Jan du Chêne. Cet agriculteur de Vers-chez-Perrin ne se souvient pas avoir vécu un tel été, mais il a entendu causer de l’année 1956. A l’époque, on récoltait à l’ancienne, la moissonneuse-lieuse regroupait les gerbes de blé en moyettes. «Eh bien, ils n’ont rien eu cette année-là, en ouvrant les moyettes, le blé avait germé.»

Dans son champ aussi, le germe se pointe, constate-t-il en écrasant un épi dans sa main. «C’est foutu.» L’agriculteur misait pourtant sur un bon rendement, avec ses sept hectares de blé semés en conventionnel. Ce devait être sa culture «la plus importante» dit-il en précisant qu’avec la météo de ces trois derniers mois, il était aussi difficile de traiter. «Le poids à l’hectolitre sera diminué. On fauchera humide.»

De l’autre côté de la route cantonale, en direction d’Etrabloz, il lui reste un carré d’orge. La récolte de cette céréale se fait habituellement avant le blé, mais là aussi, la météo a compliqué les choses. Sur place, on voit bien les sillons gorgés d’eau laissés par la moissonneuse-batteuse dans le sol. «La machine n’a pas pu aller plus loin, explique-t-il. Je ne vais pas pouvoir récupérer ces 300 mètres carrés. Il faudra faucher, botteler et puis voilà.»

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