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La Grotte à Maurice refait surface

Maurice Dumoulin a consacré 20 ans de sa vie à creuser un tunnel dans la forêt, y rangeant une collection d’objets hétéroclites. Le personnage et son œuvre sont connus localement. Dix ans après sa mort, une petite bande dessinée parle d’eux sur les réseaux sociaux.


Isabelle  Kottelat

Isabelle Kottelat

14 janvier 2021 à 01:00

Les arbres récemment coupés donnent au lieu une ambiance fantomatique. C’est presque au sommet de la forêt qui surplombe Bussy. L’entrée de la grotte est bien carrée, bien lisse et piquée d’inscriptions gravées dans la molasse. Il faut se courber pour pénétrer à l’intérieur. Dès les premiers pas, un surprenant et rigoureux empilement de tuiles, carrelages en céramique, ferraille, bocaux, casseroles, crucifix, cocotte en terre, boîte remplie de petits pots Nivea bleus imprègne le visiteur d’une atmosphère à la fois touchante et un brin inquiétante. L’antre s’enfonce sous terre sur 16 mètres de long et 2 mètres de large ainsi que des galeries latérales toutes aussi encombrées d’une collection d’objets disparates. On peut s’y tenir debout. C’est la Grotte à Maurice. Une grotte secrète au milieu d’une forêt fribourgeoise.

Un musée d’art brut sous terre

Mort il y a 10 ans, Maurice Dumoulin, un habitant de Bussy qui en vécut plus de 100, l’a construite seul durant vingt ans, dans la plus grande discrétion. Un travail titanesque et acharné. Il voulait relier son coin de forêt au lac, à la Corbière, quelques kilomètres plus au nord.

Cette grotte, c’était son royaume, qu’il a garni d’un trésor hétéroclite digne d’un musée de l’art brut, ainsi qu’il l’est mentionné dans plusieurs ouvrages, dont le livre Mondes miroirs du photographe vaudois Mario del Curto. Il est d’ailleurs répertorié dans la publication Art brut fribourgeois.

L’histoire de la grotte et le personnage sont bien connus localement. Ils refont surface ces jours à la faveur d’une petite bande dessinée qui circule sur les réseaux sociaux. Elle sort de la plume de Damien Leuba, un jeune illustrateur vaudois de Valeyres-sous-Montagny. Féru d’endroits insolites.

La région regorge de lieux insolites

«C’est dans le Guide des lieux mystérieux de Suisse romande, de Stefan Ansermet, que j’ai découvert l’histoire de la Grotte à Maurice. Notre région, notre pays regorge de lieux inattendus, tout près de chez nous, des endroits de légendes et d’histoires insolites bien réelles», raconte Damien Leuba. «Il y a aussi la grotte qui a servi d’atelier clandestin à des faux-monnayeurs, à Yvonand. La Grotte à Maurice m’a particulièrement touché. J’aurais bien aimé rencontrer ce monsieur. J’ai créé ma petite BD pour que son histoire se sache. C’était le meilleur support que je connaissais pour lui rendre hommage», explique-t-il.

L’origine de ce tunnel remonte à 1975. Maurice Dumoulin avait alors 67 ans. «Il allait chiner des objets chez les gens, et collectionnait tout: des bouteilles, des briques, des statuettes de la Vierge qu’il adorait. Il voulait trouver un endroit où mettre son matériel», se souvient, émue, Bernadette Molina, la nièce de Maurice Dumoulin. «Sa grotte, il l’a taillée au marteau et au burin. Et il sortait la pierre dans des bidons de 25 litres! C’est fabuleux!»

On peut estimer qu’il aura excavé entre 120 000 de 150 000 bidons de gravats! Tombant ensuite sur de la roche plus dure, il a abandonné son projet de rallier le lac. La grotte est devenue son antre. Il y passait la plupart de son temps, sans toutefois envisager d’y habiter.

Un homme exceptionnel

Resté un grand enfant à la force physique spectaculaire, Maurice Dumoulin vivait chez sa nièce. «Il avait son appartement dans la maison familiale et je m’en occupais. Il était très attachant. C’était comme un papa pour moi.»

Maurice Dumoulin entretenait une relation forte à la nature et avait développé des aptitudes intuitives personnelles. Il ne portait jamais de montre mais était ponctuel aux rendez-vous, se repérant aux signes du soleil. Il identifiait tous les arbres et se déplaçait à l’instinct, parcourant de longues distances à pied ou sur un vélo militaire à une seule vitesse et torpédo.

«C’était un homme exceptionnel pour tous ceux qui l’ont connu. Il était solide, allait toujours pieds nus, ne se plaignait jamais. Il donnait des coups de main aux agriculteurs, faisait les jardins et coupait le bois. Le 1er jour de l’an, il faisait sa tournée pour aller donner ses bons vœux à tous ceux chez qui il était allé travailler dans l’année», racontent Bernadette Molina et sa fille Tania Carrard.

Laquelle est allée montrer la grotte de leur aïeul à ses propres enfants de 6 et 10 ans, durant le confinement du printemps. «Depuis le temps que je leur en parlais…»

Toutes deux apprécient que Maurice Dumoulin fasse l’objet d’une «jolie histoire qui circule», même si, pour elles, l’image de lui n’y est pas totalement fidèle à la réalité.

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