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La saga des quatre ponts de Sugiez

Voici le premier épisode de notre nouvelle série qui concernera les ponts de la Broye. On va partir de l’embouchure de la Broye, depuis le canal du même nom à Sugiez qui a connu une véritable saga avec ses ponts mise ici en texte et en images grâce à Daniel Perrottet.

Ceux qui ne sont pas de ce magnifique coin de pays confondent souvent le pont de Sugiez avec celui de la Sauge, là où meurt la Broye pour aller se jeter dans le lac de Neuchâtel. Il est aussi en métal, construit entre 1868-1870. Nous sommes ici au début du siècle dernier, on voit au fond le dos du Mont-Vully. A relever que le pont actuel de la Sauge ressemble aussi à s’y méprendre à celui de Sugiez. Vous suivez?

Rémy  Gilliand Avec La Précieuse Aide De D. Perrottet

Rémy Gilliand Avec La Précieuse Aide De D. Perrottet

8 juillet 2021 à 02:00

Pour cette première étape nous avons décidé de vous emmener à l’embouchure du canal de la Broye, à Sugiez. Et c’est justement Daniel Perrottet qui sera notre précieux guide.

Nous sommes à la fin de 1739. «Il faut imaginer la Broye comme une rivière sinueuse serpentant entre le lac de Morat et celui de Neuchâtel, formant parfois plusieurs bras dans une zone de marécages, de roselières, de pâturages fangeux», raconte Daniel Perrottet. Depuis l’Antiquité, plus aucun pont n’a été construit après les ouvrages romains emportés par les crues. De petites barques ou des radeaux sont utilisés pour le passage d’une rive de la Broye à l’autre. Un radeau plus grand, appelé razel, sert quant à lui de moyen de transport local, de Sugiez à Morat. Utilisé jusqu’au début du XIXe siècle, le razel nécessite de gros frais d’entretien. Le port se trouve en aval du village, près de l’ancienne tour de Chêne (tour carrée, depuis longtemps disparue, bâtie au début du XIVe siècle par le baron Louis II de Savoie-Vaud et ayant servi à la surveillance du trafic sur la Broye).

Déjà une idée de pont en 1666

L’idée d’un premier pont est dans l’air depuis 1666: le Conseil de guerre de Berne est chargé d’examiner un projet visant à l’établissement d’un petit pont afin que le bétail ne soit pas obligé de traverser la Broye à la nage pendant la saison froide. La décision se fait attendre et ce n’est qu’en 1738 que les deux Etats de Fribourg et de Berne donnent leur autorisation aux quatre villages de la Rivière (Sugiez, Nant, Praz et Chaumont) pour une construction (à environ 50 mètres plus à l’ouest de l’endroit où se trouve la Broye actuelle). «Le terrain est cédé par MM. de Diesbach, Sturler et Chaillet. L’avoyer, accompagné des Messieurs de Morat, prend deux fois vision de l’emplacement et s’assure de temps en temps, par la suite, des progrès des travaux. Les terrassements se font en corvée. C’est Maistre Hugo de Faoug qui exécute les parties en bois», raconte l’ancien instituteur de Nant.

Il faut payer pour traverser

Le pont est formé d’une seule arche et repose sur deux butées en pierre; les blocs sont amenés d’Anet. L’arche est soutenue par cinq poteaux de bois. En 1742, un toit y est ajouté. Les Etats concèdent aux communes de la Rivière six poses de terrain du marais dont le rapport sert à l’entretien de l’ouvrage qui est confié à Rodolphe Seilaz, maître charpentier de Sugiez. Les villages de la Rivière sollicitent aussi la seigneurie de Lugnorre pour payer une partie des frais d’entretien. Berne et Fribourg aideront à la consolidation de l’ouvrage en accordant en 1787 cinq chênes et deux sapins de la forêt de Galm sur Morat. En cette fin de XVIIIe siècle, c’est un certain Rodolphe Chervet de Sugiez qui est chargé de contrôler le passage des gens et des chars. On exige pour les étrangers un kreutz par personne et deux kreutz par char.

Vers 1845, on construit le second pont qui remplace celui de 1739. Fribourg prend à sa charge les frais de construction. Œuvre de l’ingénieur Stuckart, ce pont, également en bois mais non bombé, est muni de poutres latérales. Il est supporté par trois piles et dépourvu de toit. La Broye coule à cette époque à quelques mètres de l’Auberge de l’Ours, construite deux ans auparavant. En 1853, sur proposition du charpentier Jean Schaad, la pile centrale du pont est supprimée pour faciliter la navigation. L’entretien de ce pont se révèle coûteux.

«Malheureusement, aucun document iconographique n’a été retrouvé, même aux archives de Fribourg», regrette Daniel Perrottet.

Première correction des eauxdu Jura et construction du canal

Le 27 septembre 1872, la correction des eaux des trois lacs sis au pied du Jura (appelée communément Correction des eaux du Jura) est lancée, suite à un arrêté fédéral de 1867 et des études entreprises dès 1868. Sous la direction du Dr Johann Rudolf Schneider, médecin et politicien, et de l’ingénieur grison Richard La Nicca, elle a pour but d’abaisser le niveau moyen de la nappe aquatique d’environ 2,6 m, d’éviter ainsi les inondations et de faciliter la navigation sur la Broye et la Thielle. Pour la Broye, les travaux consistent dès 1874 en la création d’un canal de 8210 m de long, parfaitement navigable. Sur les 2100 premiers mètres, on recoupe les méandres de Sugiez, de la tour de Chêne et de La Monnaie. Plus en aval, le lit est approfondi et par endroits élargi. L’entrée et la sortie du canal sont protégées par des môles (de 400 m à Sugiez et de 1500 m à La Sauge, à partir de l’auberge), ceci afin de lutter contre l’ensablement provoqué par les vents. La largeur de fond du canal est de 16,20 m, celle de la surface de 35,40 m et la profondeur de 4,80 m. Un nouveau pont, le troisième, est construit et achevé en 1876, trente mètres plus à l’est que le précédent, sur le cours rectifié de la Broye. Ce pont à poutrelles métalliques de 38 m de débouché repose sur deux socles en pierre taillée.

De vigneron à maraîcher

Au fil des décennies qui suivent, près de 350 km2 de terres du marais jusque-là incultes sont bonifiés grâce au travail infatigable des agriculteurs seelandais. «Le Grand Marais se profile comme l’une des plaines les plus fertiles de Suisse. Ainsi, le Vulliérain, de vigneron et paysan qu’il était, devient aussi maraîcher», informe l’historien.

Et de quatre

Le quatrième pont sur la Broye à Sugiez est érigé en 1967 au sud du précédent. D’une hauteur permettant le passage aisé des grands bateaux, long de 90 m, large de 7 m, avec en plus deux trottoirs de 1,5 m, il est construit en béton, et son tablier repose sur deux poutres métalliques disposées en trois ouvertures, avec des portées de 23,5 m, 43 m et 23,5 m.

Il s’intègre dans la création d’un nouveau tronçon de route qui a occasionné la démolition de plusieurs maisons dont l’ancienne Pinte du Cygne. Ce tronçon évite le centre de Sugiez et franchit le canal de la Broye, dont la largeur a été portée à 60 mètres, dans le cadre de la IIe Correction des eaux. L’inauguration n’a lieu qu’en 1970. La presse s’en fait l’écho à la fin 1969: «Il y a déjà deux ans que le nouveau pont de Sugiez, construit sur le canal de la Broye, est terminé. En revanche, ce magnifique pont n’est pas encore ouvert au trafic routier. Une situation aussi paradoxale ne s’est jamais vue en Suisse. Aussi, le mécontentement est-il grand dans la population du Vully, qui paie de ses deniers depuis deux ans un pont qu’elle ne peut utiliser. Cet incroyable retard est dû au fait que les voies d’accès au nouveau pont ne sont pas encore aménagées et ne le seront vraisemblablement pas avant plusieurs mois pour diverses raisons, entre autres le gel et les travaux entrepris, récemment, par les téléphones», précise Daniel Perrottet.

Lors de la destruction du pont métallique, les socles en pierre taillée datant de 1876 rejoignent les remblais permettant la création de la nouvelle place (et plage) communale de Nant gagnée sur le lac.

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