Logo

Actualité

Les bagnards du marais payernois

Il y a 150 ans, le 30 janvier 1873, le canton faisait construire une colonie agricole à Payerne. Elle servit d’établissement de travail et de correction pour des ivrognes, vagabonds et autres individus perdus. C’était un… EMS carcéral avant l’heure sur les terres de la Belle-Ferme.

2023, l’un des deux bâtiments servant à l’époque de dortoirs aux colons. Rien n’a changé.

Rémy  Gilliand

Rémy Gilliand

26 janvier 2023 à 01:00

Payerne possède sa colonie de vacances aux Cluds, dans le Jura vaudois, mais ce que les jeunes générations ont oublié, c’est que la commune avait autrefois une autre colonie agricole, à Payerne même. Mais aucune comparaison, puisqu’il s’agissait d’une prison… et cela se passait au lieu-dit le Petit-Marais, rebaptisé plus tard la Belle-Ferme, non loin de l’Aéropôle de Payerne.

A la fin du XIXe siècle, le conseiller d’Etat Louis Bonjour était pantois devant la quantité de condamnations encourues pour des cas d’abandon de famille, de vagabondage, de mendicité ou d’ivrognerie, condamnations subies dans les geôles du district, où ces malheureux passaient leur temps dans une malsaine oisiveté. Il se résolut à créer pour eux un établissement de travail et de correction, afin de rendre au pays des forces qui se perdaient. L’élu vaudois déposa un décret qui fut voté le 23 janvier 1871 par le Grand Conseil. Ce fut l’origine de la Colonie agricole de Payerne. L’Etat de Vaud porta en effet son choix sur Payerne, et la commune lui vendit 125 poses, soit 50 000 perches au prix de 50 centimes la perche (la perche fédérale équivaut à 3 mètres). L’historien Albert Burmeister releva que ce contrat contenait une clause de rachat par la commune si ces terrains étaient détournés de leur destination.

Les premiers colons arrivent

Le 30 janvier 1873, soit il y a 150 ans, le décret de construction d’une baraque-grange provisoire fut déposé. Le 28 mars 1873, le directeur Louis Baud était nommé, mais tout était à créer; aucune habitation n’existait. La baraque-grange fut achetée et montée à l’emplacement des futurs bâtiments. Le 18 août 1873 arrivèrent les quatre premiers colons, suivis d’autres. Ils défrichèrent le sol, faisant les premières cultures sur ces terres marécageuses. En même temps, ils travaillaient à la construction des bâtiments. Pour la petite histoire, il semblerait qu’un incendie d’origine criminelle ait détruit la grange, des écuries et des remises de la ferme, la date de ce fait divers différant selon les documents. Il faut savoir que cette idée d’établissement de travail et de correction était déjà en discussion au sein du Parlement vaudois depuis quelques années. Vengeance, sabotage avant l’arrive des colons?

En 1875, une loi cantonale remplaça la peine de la réclusion par l’internement à la colonie. Une caserne-atelier fut construite et 50 colons y résidèrent. Ce nombre s’éleva de 90 à 100, tandis qu’en 1877 des bâtiments étaient construits, et la colonie agricole se développa normalement. Ces colons ont grandement contribué à l’assèchement de cette zone marécageuse. Parmi ces «prisonniers», il se pourrait qu’il y ait eu aussi des réfugiés politiques. La colonie était pourvue de deux longs bâtiments qui servaient de dortoirs. Avec la grande écurie cela formait un U, encore visible actuellement.

La Colonie du Marais eut son heure de célébrité et son bétail était réputé, ses porcs surtout. A cette époque, la race de la Broye avait encore cette belle coloration rouge cuivré qui luisait au soleil et qui valut aux Payernois le sobriquet de Cochons rouges.

Pilon et ses cochons

Louis Baud, dit Pilon, habile agriculteur et éleveur, transforma complètement la race par l’introduction des porcs du Yorkshire. «Il était fort connu du monde agricole et c’était un homme excellent, bon comme le pain, aux propos savoureux», dixit Burmeister.

Quand l’Etat songea à édifier un nouveau pénitencier cantonal à Payerne, la commune déclina l’offre. Celui-ci fut alors construit à Bochuz, près d’Orbe, avec comme annexe une colonie agricole qui remplaça celle de Payerne. C’était donc la fin de l’aventure du «pénitencier» payernois. Elle aurait cependant pu se reproduire il y a 20 ans (voir encadré).

La colonie est désaffectée en 1911. A la mort de Louis Baud, le domaine fut alors affermé à son fils Charles, qui le cultiva quelques années. A la fin de son bail, qu’il ne désirait pas renouveler, la commune fit alors valoir son droit de rachat. L’opération se fit en 1915 et la Municipalité décida de changer le nom et de nommer ce domaine la Belle-Ferme (voir ci-dessous).

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus