Logo

Actualité

Les derniers brandons de la Reine

Une page de l’histoire des pintes payernoises va se tourner prochainement. Le Café de la Reine-Berthe va fermer ses portes. La patronne Marie-Jeanne Zurkinden rend son tablier après 22 années derrière les fourneaux. L’avenir du bâtiment est encore incertain.

La dernière ardoise des brandons pour Marie-Jeanne-Zurkinden. A droite, la patronne devant la mythique devanture. En bas, on la voit en train de mitonner sa soupe à l’oignon des brandons.Photos r. gilliand - a. Wicht et ch. rappo/A

Rémy  Gilliand

Rémy Gilliand

16 février 2023 à 01:00

«Mon rêve était un jour de reprendre un café et le seul que je voulais était celui de la Reine-Berthe, c’était celui-là et pas un autre. Je ne sais pas pourquoi j’ai été séduite, peut-être par la devanture en bois, le cachet?» raconte Marie-Jeanne Zurkinden. Et son souhait s’est réalisé en 2001. C’est à ce moment qu’elle a repris la mythique pinte payernoise de la Reine-Berthe avec son mari Pierre-André Zurkinden, «Zuzu», journaliste. Malheureusement, il nous a quittés subitement au printemps 2005.

Marie-Jeanne est née à Cheiry. Ses parents, Thérèse et Louis Rapo ont eu six filles, dont deux fois des jumelles. Elle passera son enfance à Cousset où son père est instituteur. Après un apprentissage de décoratrice à Fribourg, Marie-Jeanne travaillera du côté de Morat et de Payerne. Elle fut aussi serveuse dans divers établissements et notamment au Gothard à Fribourg. «En travaillant là-bas, j’ai vraiment eu envie d’avoir un jour mon affaire», explique celle qui fut aussi serveuse au Lion d’or, le Tube pour les initiés, du temps de Gilbert et Hélène Gonthier. Une autre pinte mythique transformée en restaurant asiatique. «Lorsque j’ai repris le café, Gilbert m’a donné de précieux conseils. Il m’a appris les ficelles du métier, comment réaliser des plats mijotés, entre autres. Je n’avais jamais cuisiné pour plus de dix personnes. Au début, j’ai eu des sueurs froides», poursuit Marie-Jeanne qui a ainsi pu mettre à sa carte l’incontournable langue sauce câpres, les tripes, les pieds de porc. «Pour la tête de veau, j’ai attendu que Gilbert soit à la retraite pour la proposer, vu que c’était le seul à faire ça à Payerne.»

Au début, les affaires étaient plutôt confidentielles. «On n’avait pas beaucoup de monde et les trois premières années ne furent pas évidentes», avoue la patronne. Et puis ce fut le choc, avec la disparition de Zuzu. «Je n’ai jamais pensé arrêter. J’ai pu compter sur mes sœurs et mon fidèle personnel, cela m’a sauvée», glisse Marie-Jeanne. Elle peut notamment compter sur Jacqueline, sommelière depuis le début.

Un cachet tout particulier

Passionnée par la déco, Marie-Jeanne a donné à son bistrot un cachet unique avec des objets chinés, une incroyable collection de chats et quelques tableaux, comme des Juriens, entre autres. Elle a l’heureuse idée de réhabiliter le jardin qui est devenu la plus belle terrasse payernoise. Un havre de paix et de fraîcheur, en été surtout. Un paradis qui a fait le succès de la Reine, loin à la ronde. Certains se souviennent de la visite de Patrick Juvet, en grande forme… «Zuzu avait commencé un livre d’or, mais je l’ai un peu mis de côté. Les souvenirs sont dans ma tête.»

Les années filent et la Reine se fait une jolie réputation. Marie-Jeanne se remémore de belles années avec les ouvriers de l’Eternit qui faisaient escale en rentrant du turbin. «De sacrés vendredis. J’avais aussi la table des seniors, avec le Maharajah, Pain-Bis et tant d’autres», dit avec un brin de nostalgie la patronne. Les choses évoluent, les coutumes changent. «Avant les gens s’arrêtaient volontiers pour boire un verre. Maintenant, c’est plus pour manger», indique, cigarette à la bouche, celle qui aura vécu l’arrêt de la fumée dans les bistrots et le 0,5 pour mille. Des lois qui ont occasionné des changements d’habitude. «Et depuis le Covid c’est très compliqué de trouver du personnel.»

Ici c’est que du cash

«Internet a aussi pas mal changé les habitudes», dit-elle. Chez Berthe, point trop de modernité ni de réservations en ligne. Ce qui peut parfois occasionner des surprises quand le calendrier qui sert d’agenda disparaît… Ici, tout se passe à la bonne franquette et c’est avec du cash qu’on paie son steak et son ballon de commune.

Il y a quelques années, d’importants travaux ont lieu dans le quartier. Elle voit les places de parc à côté de l’ancienne ferme Givel disparaître pour laisser la place à un immeuble aux briques rouges. La route est aussi fermée pour permettre les travaux du pont Guillermaux. Marie-Jeanne décide alors d’alléger ses horaires et elle ferme boutique l’après-midi, le samedi et le dimanche, sauf pendant les fêtes locales. «Cela m’a permis de faire des siestes salutaires après le service de midi pour pouvoir tenir le coup.»

Tenir quatre jours, quatre nuits

Et il en faut de l’énergie, notamment lors de la foire de la Saint-Martin où avec son staff elle assure trois services de tripes dans une ambiance incroyable. Même topo pour le Tirage où pour avoir sa place, il faut s’y prendre à l’avance. Et on ne parle pas des brandons, ici c’est une institution! Déjà que le bistrot est customisé, avec une déco concoctée par Marie-Jeanne et son aide de camp Claude Vez. «Cela nous prend trois week-ends complets», tandis qu’elle a déjà commencé le relookage pour cet ultime carnaval.

Les brandons, Marie-Jeanne adore ça. «Je ne sais pas comment on tient quatre jours et autant de nuits, mais c’est génial! Il y a quelques années, on avait eu une guggen bulloise. A notre insu, ils avaient démonté le muret qui borde la route pour le remonter chez le voisin. Ce dernier, pas content, était venu me trouver car il n’arrivait plus à sortir de son garage. Heureusement, il avait vu le subterfuge. On a retrouvé la guggen et mardi des brandons ils sont revenus de Gruyère, peu fiers, pour reconstruire le mur comme il faut», rigole Marie-Jeanne.

Cette dernière se rappelle aussi d’une ambiance formidable suite à la venue d’une guggen tessinoise. Ils avaient leur stamm chez elle. «Bon, par contre, l’année dernière, je n’ai pas vu la couleur d’une guggen. A la fin des brandons, j’étais un peu remontée, je dois l’avouer. Tu sais, les gens viennent ici en attendant leur passage. Et puis quand elles jouent, cela nous permet de souffler un peu», argumente Marie-Jeanne. Les années se suivent et ne se ressemblent pas forcément…

Donner un autre sens à sa vie

Le 31 mars, une page va se tourner. Et pour couper court aux rumeurs: la suite? Qui va succéder aux Pique-Miette, Tercier, Pignoufle, Donzallaz, Zurkinden? «On ne sait pas, il y a plusieurs projets. C’est possible que cela reste un restaurant, tout est ouvert. Mais de toute façon, tout doit être refait aux normes», prévient Marie-Jeanne qui souhaite donner un nouveau sens à sa vie de retraitée. Jardinage et coup de main à des collègues sont au menu. «J’ai de la chance, je finis avec le printemps, c’est mieux que l’automne. La retraite, cela ne me fait pas peur. Pour faire ce métier il faut être courageux. Ce boulot, cela peut aller du pire au meilleur, mais je n’ai que de bons souvenirs, grâce à une équipe fidèle et incroyable», tandis que son chat passe de table en table se demandant lui aussi de quoi demain sera fait dans cet endroit mythique.

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus