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Les fers éternels de Roger Monney

Connu pour avoir côtoyé Jean Tinguely et Luginbühl, le ferronnier d’art Roger Monney a disparu l’année dernière, dans sa maison de Bellerive. Son entourage projette d’y créer un espace qui permettrait de ne pas oublier cet homme singulier et son œuvre.


Pierre  Köstinger

Pierre Köstinger

28 mai 2020 à 02:00

C’est un labyrinthe de fers et de souvenirs que le visiteur traverse en se contorsionnant. Voilà plus d’une année que l’artisan sculpteur Roger Monney a remisé pour de bon ses outils, le 26 mars 2019, à l’âge de 86 ans, dans cette maison de Bellerive, où il aura vécu durant plus de cinquante ans. Pinces en fer rouillées, barres en tout genre, éléments de robinetterie. «Il récupérait tout ce qu’il trouvait», raconte Jo Monney, frère du ferronnier d’art, de 20 ans son cadet.

Jo Monney est le quinzième enfant, «quinzième jumeau» précise-t-il, d’une famille qui en comptait dix-sept, établie d’abord à Grolley, puis à Noréaz. Cultivant le franc-parler familial, Jo a toujours été proche de son frère Roger, l’aîné de la famille, lui vouant une admiration inoxydable: «C’était un homme hors du commun. Il n’y en avait pas deux comme lui. Il avait un don extraordinaire, un sens des proportions infaillible!»

Un espace pour le forgeron

Pour perpétuer le souvenir de son génial ferronnier de frère, qui cachait une âme sensible sous une solide carapace, Jo Monney entend lui dédier un espace dans cette bâtisse où il a vécu. Le visiteur pourrait y découvrir certaines de ses œuvres ainsi que des films tournés sur celui qu’on surnommait le «Vulcain du Vully», dont un documentaire réalisé par Jacques Thévoz, et un autre par l’émission Passe-moi les jumelles, sur la RTS. Il imagine également des photos montrant le créateur dans son antre, tirées du beau livre que lui avait consacré son ami Félicien Morel.

«Il est aussi important de montrer comment Roger Monney vivait dans cet environnement», explique l’ancien conseiller d’Etat fribourgeois, qui connaît le Vulliérain à la barbe ensauvagée depuis le début des années 1950, alors qu’ils étaient tous les deux apprentis serruriers. La ferme, que l’artisan ferronnier avait rachetée en 1962, est en effet indissociable de son œuvre et lui ressemble par bien des aspects, paraissant tour à tour impénétrable et accueillante; encombrée et simple.

Une fois passé le pas de la porte, on tombe sur une table, recouverte d’une solide nappe rouge cornée par le temps. Dans cette pièce bordée d’œuvres métalliques, agrémentée d’un poêle et d’un lit où l’artiste a dormi durant son dernier hiver, Roger recevait son monde. A l’étage, la chambre, une sorte de tanière sombre éclairée par une ampoule, cache un lit défait, comme si le ferronnier s’était levé le matin même, entouré d’une brassée de livres empilés. «Il était très cultivé», souligne son frère. Capable de «partir en piste» plusieurs jours, («Foireur mais pas buveur», disait-il), il pouvait tout autant travailler sans relâche sur une œuvre durant des mois.

Un chapeau et une plume sur la tête en guise de protection, l’artisan sculpteur allait souvent au bois chercher de quoi se chauffer, au guidon de son vélomoteur. «La nature, disait cet homme qui réfléchissait beaucoup au sens des choses, c’est ce qui fait l’être. Elle nous accompagne. Avec elle, la solitude n’existe pas.» Cette simplicité n’était pas une fatalité pour lui, mais un choix de vie. «Il avait son caractère et ne voulait dépendre de personne. Il travaillait ce qu’il lui fallait pour vivre et non l’inverse», confirme Jo Monney. Et Félicien Morel de rappeler le jour où un millionnaire est venu lui commander une œuvre. «Il n’était pas intéressé. Il avait une vision bien à lui sur la manière dont il voulait créer.»

Refusant d’être qualifié d’artiste, Roger Monney se considérait comme un artisan. On lui doit de superbes enseignes de restaurant, comme celle du Bel-Air à Praz, ou celle visible en haut de la Grand-Fontaine à Fribourg. Toujours guidé par son œil doué, il s’oriente vers des formes de plus en plus abstraites à partir des années 1980, à l’exemple de la sculpture monumentale en hommage à Failloubaz, installée au centre de Vallamand-Dessus.

L’objectif de l’espace Roger Monney, s’il voit le jour, sera de pérenniser le souvenir de l’artisan, non pas «de faire de l’argent», précisent Jo Monney et Félicien Morel. Loin de l’envergure de l’espace consacré à Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle à Fribourg, ils imaginent quelque chose de modeste, «à l’image de l’homme qu’il était», relève son ami. Ils songent aussi à des synergies avec le café voisin du Belle 5, tenu par l’artiste Sandro Zimmermann, tout en réfléchissant sur les moyens de pérenniser la structure, probablement avec une fondation.

Famille favorable

La vente du livre de Félicien Morel ou d’un poster apporterait un petit fonds de roulement, explique Jo Monney, qui pense aussi à une collaboration avec les vignerons du cru pour produire une bouteille rappelant le forgeron. Tout cela pourrait être sur pied pour août 2021, articule Jo Monney, qui relève que la famille est favorable au projet, même s’il reste «des questions en lien avec l’héritage à régler». Il faudra aussi vider l’essentiel de la maison et l’atelier pour ne garder que les éléments les plus représentatifs.

Du côté de la commune de Vully-les-Lacs, le syndic Blaise Clerc se dit personnellement favorable au projet, «pour autant que la famille soit derrière et qu’il y ait une volonté de pérenniser les choses». «Cela serait dommage qu’on ne fasse rien avec un artiste de la trempe de Roger», dit-il. Et si l’élu doit encore porter la question au-devant de ses collègues municipaux, il imagine déjà cela dans la perspective d’une offre culturelle pour l’ensemble de la commune.

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