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Les mystères du château de Gréchon

Près de 260 ans après sa construction, on ignore toujours pourquoi on nomme «château» la maison de campagne de Sigismond Trolliet construite entre 1762 et 1781. Notaire, secrétaire baillival, banneret, personnage central de la scène politique, il n’était pas un noble.

L’architecture de cette maison de maître est particulière. Derrière une enveloppe unifiée et symétrique se cachent des logements, des écuries et des granges. Un trompe-l’œil presque parfait. Photo ludmila glisovic

Ludmila  Glisovic

Ludmila Glisovic

2 septembre 2021 à 02:00

Les Moudonnois connaissent bien la longue silhouette un peu triste du «château» de Gréchon, avec ses volets clos que l’on souhaite voir s’ouvrir en vain. Un peu en retrait de la ville, il monte la garde au nord. Sa jeunesse s’est effacée depuis longtemps et le délabrement a commencé son œuvre. Située en aplomb de l’arsenal, la bâtisse a malgré tout conservé de sa prestance. Bien que mystérieuse, elle n’est pas porteuse de légendes. Mais elle nourrit tout de même l’imaginaire. Pourtant, le gardien qui garde un œil sur elle l’assure, mis à part les ombres du passé, aucun fantôme ne l’habite. Sans vie, elle est prisonnière de son silence.

Dépourvue de tourelles ou de tout autre oripeau rappelant un palais, l’inaccessible porte néanmoins le nom de «château». Construite en plusieurs étapes, entre 1762 et 1781, par Sigismond Troillet, un notable sans particule, cette appellation reste obscure. Sa famille acquit les terres de Gréchon-Dessus et Dessous et une grange s’y trouvant probablement avant 1674. Diverses constructions se succéderont sur cette parcelle, avant que Sigismond ne s’en mêle.

Les prémices d’une enquête

L’histoire de la maison est imbriquée avec celle de Moudon. L’historienne Monique Fontannaz a mené une enquête approfondie pour en connaître plus. Elle a ausculté les boiseries, les peintures, inspecté l’ossature de l’édifice. Elle a épluché les cadastres, s’est plongée dans des archives, a fait des recoupements… Malgré ce travail minutieux, le château garde quelques secrets.

Pour ce qui est du nom de Gréchon, la chercheuse a trouvé des pistes solides. Le premier édifice construit sur cette colline est mentionné en 1359. L’entrepreneur s’appelait Jeanmod dit Greschon. «Il se pourrait que son nom soit resté attaché à sa terre et se soit transformé en lieu-dit», relève l’enquêtrice dans une publication. En tous les cas, l’endroit est déjà nommé Gréchon dans des archives de 1611.

Pas de signes de noblesse

Pour ce qui est de son étiquette de château, la chercheuse a procédé par élimination et ne peut qu’avancer une hypothèse. Gréchon «ne possède pas les caractéristiques spécifiques d’un château, ni sur le plan juridique, ni sur le plan matériel». Pas d’élément fortifié, pas de frontons armoirés. «Seuls signes d’une certaine noblesse, les épis de faîtage couronnant les toits à quatre pans.» Monique Fontannaz soupçonne que l’appellation «château» est apparue tardivement, vers la fin du XVIIIe siècle.

Une maison de campagne à quinze minutes de chez soi

Ainsi, l’intrigante demeure n’était en réalité qu’une maison de campagne. Sigismond Trolliet, secrétaire baillival, juge de Moudon et banneret, résidait avec femme et fille en ville, à la rue Saint-Bernard, soit à un quart d’heure de marche de Gréchon, révèle Monique Fontannaz. A l’époque et encore au XXe siècle, il était courant pour les Moudonnois de posséder une résidence secondaire sur les hauteurs de la ville, à proximité de leur domicile.

Luxueux, le château était équipé d’un chauffage complet qui permettait d’y résider toute l’année. Néanmoins, l’historienne avance l’idée que le propriétaire s’y rendait surtout à la belle saison pour surveiller le travail des fermiers et admirer la vue.

Maison de maître avec dépendances

Maison de maître, avec dépendances, sur domaine agricole. C’est ainsi que l’on peut décrire cette imposante bâtisse et ce sont ses dépendances qui lui ont donné sa démesure. Sa construction semble avoir été entreprise en plusieurs étapes s’appuyant en partie sur des constructions déjà existantes. Quoi qu’il en soit sa structure est particulièrement originale.

Derrière une enveloppe unifiée et symétrique, on trouve la résidence du propriétaire, une grange, deux écuries, le logement du fermier, une deuxième grange et deux autres écuries. Ainsi, lorsque l’on regarde la construction à distance, avec ses pavillons pratiquement similaires à chaque extrémité, l’illusion d’une maison d’habitation d’un seul tenant est assez parfaite. Sauf que le corps du bâtiment se trouvant du côté de Moudon est une résidence, alors que l’autre, au nord, est une grange.

Les talents cachés de Sigismond

Ambitieux, concerné prioritairement par sa fortune et son pouvoir, Sigismond Trolliet faisait preuve d’une expérience certaine en matière d’architecture et de construction, note Monique Fontannaz. Des compétences dont on connaît l’existence en consultant les réalisations communales de son époque. L’historienne n’exclut donc pas la possibilité qu’il ait lui-même conçu les plans de Gréchon, avec le concours d’un entrepreneur local.

Elle pose même la question sur ses qualités en matière de peinture artistique. Si elle n’est pas certaine qu’il ait tenu les pinceaux, elle est en revanche convaincue qu’il a dicté dans les moindres détails le programme iconographique du décor intérieur de sa maison.

Un intérieur chaleureux

La maison de maître s’ouvre sur un spacieux vestibule avec de grands panneaux moulurés, un chambranle de cheminée en pierre peinte en faux marbre, décrit l’historienne qui pense que cet espace n’a pas dû beaucoup changer depuis le XVIIIe siècle. Au rez-de-chaussée, des boiseries de tonalités chaudes couvrent l’ensemble des parois du séjour. Au-dessus de trois portes, on a peint des paysages marins agrémentés d’architecture. Dans une pièce contiguë, les peintures situées au-dessus des portes représentent des allégories des arts et des sciences, dépeint Monique Fontannaz qui a répertorié avec minutie toutes les pièces et espaces de la demeure.

De l’antre de l’amour…

A l’étage, «la plus belle pièce et la plus personnelle» était certainement réservée au repos du maître, voire de la maîtresse. «Lorsqu’on y pénètre, on a l’impression d’être arrivé au cœur de la maison», raconte l’enquêtrice. Elle est entièrement consacrée au thème de l’amour.

Le plafond peint représente une Vénus «aux proportions déformées par une perspective peu compréhensible», note-t-elle. Nuages multicolores, Cupidons voletant et colombes accompagnent la déesse. Les boiseries sont richement décorées. Des couples d’amoureux ornent les parois. L’un d’entre eux, des bourgeois, attire l’attention. Pourrait-il s’agir des propriétaires? s’interroge la chercheuse.

… à l’échec amoureux

D’autres représentations, contrastant avec l’esprit de galanterie de l’ensemble, parlent peut-être d’un amour déçu. Sur une toile, dans un décor en trompe-l’œil une forme féminine est allongée… Un miroir est brisé… Une statuette de Cupidon brandit une flèche d’une main, tandis que l’autre est vide. L’arc est brisé. «Un symbole de l’échec amoureux?» questionne Monique Fontannaz.

Enfin, sur une peinture différente, un homme regarde le spectateur, une palette de peintre posée à côté de lui. Difficile d’imaginer, Sigismond tolérant le portrait d’un autre dans sa chambre. S’il s’agit du maître de maison, aurait-il été un peintre amateur? se demande l’historienne.

Face à la diversité des styles, des techniques et des qualités d’exécution, on peut affirmer sans prendre trop de risques que plusieurs artistes ont œuvré dans la maison.

Le château change de mains

Né en 1728, Sigismond semble avoir laissé à sa mort en 1817, la maison à sa petite-fille Marianne Tacheron.

En 1837, Gréchon fut racheté par le richissime Pierre-Jacques Bovay. Probablement un investissement de sa part. Elle ne fut plus jamais vendue et sa descendance en hérita successivement jusqu’à nos jours. Bien entendu, au fil des propriétaires des modifications ont été apportées à l’édifice, mais rien qui lui ait fait perdre son identité. Aujourd’hui, seul le temps qui passe change son apparence et détruit ce qu’on a cru y voir: un château.

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