L’Egratigneur

Si je pouvais refaire ma vie, je mettrais le paquet pour être médecin.

Spécialisé, de préférence, dans l’auscultation des seniors. Un statut qui, à en croire ce que je constate, contente bien son homme. Je ne sais pas vous, mais moi, quand le hasard des rencontres met sur mon chemin un contemporain à la tête chenue, après qu’il m’a dressé la liste des maux qui l’assaillent, régulièrement il clôt son bilan par «mais à la dernière visite, mon docteur était content». Qu’on peut traduire par «ça ne va finalement pas si mal».

Lorsque j’additionne les fois où l’on m’a dit que le médecin était content, je m’autorise à penser que ça fait une sacrée cohorte d’humains qui pratiquent un métier bien plaisant. A notre époque, vous en connaissez beaucoup des travailleurs qui, en quittant le turbin, peuvent dire qu’ils sont contents?

Et ça me fout des remords. Je dois être un patient d’exception (je n’ai pas dit exceptionnel), car jamais un seul des médecins que j’ai consultés ne m’a dit qu’il était content. Peut-être parce que je ne suis pas encore malade et qu’ils s’impatientent? Allez savoir!

A la dernière visite, il m’a affirmé que je pouvais être rassuré, mes analyses étaient bonnes, mais pas qu’il était content. Dans la limite des minutes que lui concède le tarif Tarmed pour ausculter une carcasse peu épargnée par les outrages du temps, on discute pourtant aimablement. Il conclut généralement l’entretien par un souriant «portez-vous bien», mais pas un mot sur son état de satisfaction à lui.

Plus tard, quand je reçois sa facture – il faut bien que tout le monde vive – si j’avais l’esprit mal tourné, je pourrais en déduire qu’il est bien comptant, mais pas plus.