L’Egratigneur

Jusque-là, ils se contentaient de réfléchir, on va les faire causer.

Une grosse pointure de l’intelligence artificielle annonçait, en début de semaine, vouloir équiper nos miroirs de salle de bains de capteurs destinés à nous scruter le visage, sous toutes ses dimensions.

Ceux qui hésitent, certains matins, à se regarder bien en face dans la glace, ont du souci à se faire. Désormais, c’est elle qui les fixera droit dans les yeux.

Comme il faut bien justifier l’inestimable utilité d’une telle perspective, on nous prédit une avancée médicale hors norme. Une grandiose percée de la recherche. Aux oubliettes, l’apaisant entretien avec notre médecin de famille. Dans l’intimité de notre salle de bains, le dialogue avec le miroir devrait suffire à nous rappeler combien la santé est un état fugace.

Lui:

– Tu ne devrais pas te doucher si chaud, c’est mauvais pour le teint.

Moi:

– Pour ton tain ou mon teint?

– C’est ça, fais le malin, le cancer de la peau te guette. Et puis, tu ne dors pas assez. Cette nuit, tu m’es passé devant il y a quelques heures à peine.

– Tu ne dors donc jamais?

– Parce que tu n’as jamais pu m’encadrer. J’en suis resté fêlé d’ailleurs.

Je vous passe la suite de notre conversation et les remarques de mon miroir sur mes talents de bricoleur. Les chercheurs nous assurent que toutes les données ainsi captées ne tomberont jamais dans le domaine public, mais je ne suis pas serein.

Il y a des dizaines et des dizaines d’années, un ancêtre de mon miroir avait avoué à la belle-mère de Blanche-Neige, dans le secret de son boudoir, qu’elle n’était plus la plus belle du royaume. Et croyez-moi, on en parle encore de nos jours…