L’Egratigneur

«Des bonbons ou un sort!» La sommation ne souffrait aucun doute.

Les bambins venus sonner à la porte, en soirée d’Halloween, avaient les arguments pour mettre leur menace à exécution. Frère et sœur finement grimés et costumés par leurs parents, accompagnés même du chat de la maisonnée affichant sa complicité dans la noirceur de son pelage, j’ai vite compris que faute de m’exécuter, je n’échapperais pas au châtiment.

Surtout que le sort des adultes récalcitrants était d’être, «sur le coup de minuit, transformés en grenouilles».

Le sortilège, m’a-t-il semblé, avait été levé après paiement de la rançon, mais à cinq ans, un sorcier amateur maîtrise-t-il toute la gestuelle de son art? Ce soir-là, je ne me suis pas endormi serein.

En grenouille…

J’ai bien tenté d’entrer dans la mare sans faire de vague, mais les rainettes du lieu ont vite vu que l’intrus n’était pas de leur noble lignée. Dans ma songerie, elles m’ont refusé la crèche pour mes têtards et interdit le coupe d’un roseau pour me tailler une flûte.

Dans les bulles de leur conversation gobées par inadvertance, j’ai perçu qu’une mère grenouille se plaignait d’avoir trouvé, dans l’eau du biberon de la petite dernière, des résidus de colorant E101, un épaississant E401, quelques stabilisants E450 et, cerise sur le gâteau, des émulsifiants E471 et E475. Tout ça pour un mille-feuille de la grande distribution, mal digéré par un humain de mon espèce. Autant dire que pour éviter de me faire traiter de crapaud, je suis resté dans mon coin à déguster discrètement mon ver.

Peu après minuit, je suis brusquement sorti du cauchemar. J’étais en nage… Les enfants, ne recommencez jamais ça!