L’Egratigneur

Semée en terre bernoise, l’anecdote s’épanouit ces jours-ci dans le terroir broyard. Illustre politicien de la rive droite, il lui prend de temps à autre une bouffée nostalgique, qui le pousse à renouer avec la notoriété. C’est au musée rural de Ballenberg, dans la cour de la ferme exportée de son village, que ce jour-là il nourrissait son spleen. Entre bricelets et chasselas, gruyère et boutefas, le voilà conquis par les démonstrations d’une vaillante équipe de tireurs à la corde du Pays-d’Enhaut. La discussion s’embraie, les langues se délient.

— N’y aurait-il pas parmi vous un petit-fils de mon copain de service, paysan à Château-d’Œx?

Souvenirs des grandes manœuvres en renfort, l’entretien se prolonge aimablement, dans le rappel d’épiques et rugueux affrontements entre les Rouges et les Bleus. Les jeunes lui demandent naturellement d’où il vient. On aurait pu en rester là, mais voilà, entre membres de la «Fédé», on se rencontre, on échange, on drague, on raconte même. C’est ainsi que tout récemment, un contemporain de son village pose à notre homme une question un rien perfide:

— Une de mes petites-filles m’a dit que ses copains de la Jeunesse de Château-d’Œx auraient été abordés à Ballenberg par un petit vieux du village. Tu ne vois pas qui ça pourrait être?

Portant gaillardement le poids des ans, le notable a conservé suffisamment de lucidité pour savoir qu’on ne le prendra jamais plus pour un perdreau de l’année, mais quand même…

— Vieux je veux bien, mais petit, c’est salaud.

Je ne me souviens plus qui (l’âge sans doute) a dit que devenir vieux, c’est être de plus en plus puni pour un crime que l’on n’a pas commis…