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«Le sol s’ouvre sous nos pieds»

Le 11 mai, les restaurants peuvent rouvrir leurs portes non sans de sacrées contraintes organisationnelles au menu, afin de respecter les nouvelles normes. Nous vous offrons un modeste tour d’horizon parmi les innombrables tables broyardes et vulliéraines.

Pierrick Suter rouvre son restaurant le 15 mai. Pour lui, la vie doit recommencer.

Rémy  Gilliand, Isabelle Kottelat, Pierre Köstinger Et Ludmila Glisovic

Rémy Gilliand, Isabelle Kottelat, Pierre Köstinger Et Ludmila Glisovic

7 mai 2020 à 02:00

Prendre les noms, les numéros de téléphone, la date et l’heure de venue des clients pour pouvoir remonter la chaîne d’une éventuelle infection, éviter qu’ils se mélangent entre eux, interdire les places debout, prévoir des mesures de distance entre clients, d’hygiène, de nettoyage... La liste des contraintes à respecter pour rouvrir un restaurant au 11 mai est longue.

«A quelques jours d’accueillir nos premiers clients, il y a comme un sentiment de soulagement, mais aussi d’inquiétude, lance Alexandre Skoric, patron de l’Hôtel La Suite, à Payerne. Nous sommes contents de recommencer à travailler et de voir du monde, mais cette joie est un peu ternie par notre avenir. Nous avons pu bénéficier des mesures mises en place, tant par la Confédération que par le canton, mais avec la reprise, tout tombe et nous sommes désormais livrés à nous-mêmes et à quelque part, le sol s’ouvre sous nos pieds», s’inquiète le Payernois.

Durant ces dernières semaines, si le restaurant, le bistro et la discothèque ont fermé leurs portes, le seul hôtel en ville de Payerne a toutefois pu rester ouvert. «L’activité a été insignifiante, mais nous étions là», précise celui qui a dû mettre au chômage partiel sa quinzaine de collaborateurs.

Si la fermeture a été un coup rude, le patron avait vu les choses venir. «Depuis l’annulation des Brandons, nous sentions que tout s’accélérait. Depuis que nous sommes fermés, nous restons en contact avec mes collaborateurs, via WhatsApp, pour les rassurer. Nous avons aussi été très bien épaulés par GastroVaud. On ne s’est pas sentis seuls.»

Malgré un certain stress par rapport à la réouverture, Alexandre Skoric est confiant. «Nous n’avions jamais été confrontés à une telle situation. Mes parents non plus. Mais cela nous oblige à réfléchir au bon sens et à repartir sur de nouvelles bases, avec une nouvelle carte et des produits essentiellement locaux, plaide le dynamique tenancier qui va aussi mettre des séparations dans la partie café. Notre but, c’est que les clients retrouvent du plaisir à venir et aussi le sourire.»

Tables condamnées et rideaux de douche

«Au moins, on peut rouvrir; on attend que ça! Mais pour notre 20e saison, l’année 2020 est un sacré cadeau.» Sur l’ancienne plage d’Estavayer-le-Lac, les tenanciers des Lacustres ont juste eu un amer avant-goût de début de saison en ouvrant leur établissement d’été durant dix jours en mars. Dix petits jours avant de devoir tout refermer. Double mètre en main, ils arpentent à présent leur restaurant pour voir comment réorganiser leurs tables. «C’est vite vu, on condamne une table sur deux. Sur la terrasse, on passe ainsi d’une centaine de couverts à une quarantaine», précise Stéphane Traeger. L’application des directives au Ripper Bar, sur la plage, sera plus compliquée, songe-t-il avec sa femme Jannick. Un bar pizzeria où les gens ont l’habitude de prendre leurs aises.

Au centre-ville, dans son petit et cosy Frogs and Roses, Benjamin Aebischer n’a pas d’autre choix que de sacrifier lui aussi 60% de sa capacité d’accueil pour rouvrir mardi 12 mai. Complètement dans l’originalité artistique du lieu, ce sont des rideaux de douche en plastique transparent, tendus sur des câbles, qui séparent les tables. «A la guerre comme à la guerre, il faut s’adapter pour survivre», sourit le patron. «La première semaine sera un test pour voir si les gens osent sortir ou s’ils ont peur.»

Chez son voisin tout aussi exigu, au Moulinet, Isabelle Tercier a décidé de ne carrément pas rouvrir le 11 mai. «C’est trop petit chez nous. Je ne sais pas comment on arriverait à faire respecter les distances», soupire-t-elle. Reste les plats à emporter qui seront généralisés en attendant les prochaines directives fédérales.

«Pas ouvrir pour ouvrir»

Du côté de Salavaux, le restaurant L’Equinoxe est en plein dans les travaux d’agrandissement et de rénovation. Le chantier était prévu bien avant la crise du Covid-19, mais avec cette dernière, l’aménagement d’une grande salle à manger dans le prolongement du restaurant a pris du retard. «Si tout va bien, elle devrait être prête pour la mi-juin», explique le patron Patrick Jaunin, qui a aussi profité de cette fermeture contrainte pour donner également un coup de frais à la partie restaurant, vieille de 30 ans.

S’il peut ouvrir ce lundi, le restaurateur préfère attendre. «Les directives ne sont pas suffisamment claires pour l’instant», nous disait-il lundi, se souciant entre autres de la sécurité des clients et du personnel, mais aussi d’éviter des conflits avec des clients qui auraient des comportements risqués. Et Patrick Jaunin évoque aussi le rendement de son affaire. «Il ne s’agit pas d’ouvrir pour ouvrir, avec le risque de se retrouver en dessous du seuil de rentabilité.»

Dans l’idéal, il imagine ouvrir au plus tard pour le week-end précédant le lundi de Pentecôte, début juin. L’heure est à l’incertitude, mais le Vulliérain reste confiant. «Il faudra apprendre à faire différemment et remettre la clientèle en confiance.» La grande salle qu’il aménage devra permettre l’accueil de groupes et de conférences, le restaurant étant prisé par les sociétés de la région. Il faudra patienter de ce côté-là, mais ce nouvel espace permettra en revanche d’agrandir la surface du restaurant en attendant.

Pierrick Suter, un optimisteà Lucens

«L’économie doit redémarrer. La vie doit recommencer», expose avec vigueur Pierrick Suter, célèbre restaurateur lucensois, dont l’établissement l’Hôtel de la Gare compte parmi les plus grands au Gault et Millau. «Nous nous réjouissons de recommencer», déclare-t-il avec énergie, ce qui n’empêche pas le patron d’émettre quelques critiques notamment sur le revirement soudain du gouvernement concernant la date de réouverture qui a été avancée de près d’un mois. «J’ai été déçu de voir l’Etat plier devant le lobby des cafetiers restaurateurs suisses allemands», déplore-t-il en faisant remarquer que, à moins d’une semaine du redémarrage, les restaurateurs n’ont toujours pas reçu d’instructions claires concernant la reprise de leur activité. «En outre, on nous a laissé penser que si on n’ouvrait pas à la date annoncée, nous n’aurions plus droit aux indemnités du chômage partiel pour nos employés, ce qui se révèle faux.»

Face au flou régnant en début de semaine quant aux règles à suivre, Pierrick Suter a décidé de repousser la date d’ouverture du mardi 12 mai au vendredi 15. «J’ai appelé les clients qui avaient déjà réservé et ils ont été très compréhensifs.» Le restaurateur sait ainsi que les soirées du vendredi 15 et du samedi 16 se joueront à guichets fermés.

Pour la mise en place du restaurant, le cuisinier ne s’inquiète pas. «En ce qui concerne la partie gastronomique, nos tables sont déjà bien espacées. En respectant les deux mètres de distance, nous allons pouvoir conserver une quarantaine de places sur cinquante. A midi, en revanche, nous ne pourrons accueillir qu’une quarantaine de clients au lieu de huitante.»

Après 26 ans, durant lesquels il a fait évoluer son restaurant en une table gastronomique reconnue, le patron se déclare confiant pour la reprise. «C’est un métier de longue haleine. Et nous avons reçu beaucoup de messages de soutien. Les Lucensois se réjouissent aussi de pouvoir revenir prendre un café. Socialement, le restaurant est très important.»

Cependant, toutes les inquiétudes ne sont pas levées, notamment en ce qui concerne les fournisseurs. «Certaines grandes maisons sont en train de disparaître. En ce qui nous concerne, par exemple, la filière de nos poissons qui viennent de France et qui sont vendus à la criée rencontre de gros problèmes. Nous allons devoir être très réactifs», ajoute le cuisinier qui pense proposer une carte simplifiée évoluant de jour en jour. «Nous allons beaucoup rester à l’écoute des gens», conclut-il.

Une reprise dans l’inconnuà Moudon

A l’hôtel-restaurant du Chemin de Fer à Moudon, Dominique Voruz, qui aurait aussi préféré pouvoir ouvrir dans de meilleures conditions, fait contre mauvaise fortune bon cœur. «Les instructions changent d’heure en heure», regrette le patron qui attend lui aussi de savoir quelles sont les mesures à mettre en place. «Nous allons ouvrir à partir de lundi, mais c’est difficile de savoir comment ça va se passer. Est-ce que les clients vont venir?» s’interroge-t-il, dans son restaurant aux tables désormais éloignées.

Malgré cela, le restaurateur dont l’établissement compte «normalement» huitante couverts côté café, septante côté restaurant, et qui ouvrira avec environ 50% de places en moins, ne cache pas son inquiétude. «On ne sait pas si nous allons avoir du monde tout de suite. Les premiers quinze jours seront un test. Si ça ne marche pas, on se remettra au chômage. En outre, toutes les réservations pour nos chambres ont été annulées», note-t-il encore.

Comme nombre d’autres indépendants, il a contracté un crédit pour passer cette crise. «Nous allons devoir être attentifs à notre chiffre d’affaires. Quoi qu’il se passe, les charges restent et ce qui est perdu ne sera jamais récupéré.»

Malgré tout, Dominique Voruz, qui travaille en cuisine avec son fils Michael, «la quatrième génération», se veut optimiste et sait qu’il retrouvera d’ici quelques jours ses copains: «Ils me disent: Vivement que tu rouvres!»

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